Chapitre1
Comme
à tous les jours, ou presque, Amélie revint du travail dans sa vieille
Smoogo Minima. La pluie qui s’abattait sur la région depuis plusieurs
jours rendait l’atmosphère morne, sans vie et cela affectait le moral
d’Amélie. Normalement, en sortant de sa voiture, elle aurait couru
s’abriter pour ne pas se faire mouiller, mais aujourd’hui, elle prit
sont temps; elle n’avait pas du tout envie de se presser. Rendue à
l’intérieur de l’immeuble, elle monta les marches de l’escalier menant
à son appartement. Elle en verrouilla la porte après être entrée et
jeta un regard lent sur son logis. Bien qu’il ait été meublé et décoré
avec soin, elle le trouvait vide, inerte. Elle y vivait seule, mais
aurait préféré partager cet espace avec quelqu’un, quelqu’un qui aurait
apporté un peu de joie dans sa vie, qui l’aurait accueilli et qui
l’aurait écoutée. Mais elle était seule. Cette conclusion la fit
quitter ses pensés. Elle se déchaussa, enleva son manteau, le déposa
dans l'armoire et s'assit devant la télévision.
« Jack, je t'en prie! Écoute-moi! cria la jeune actrice désespérée.
-
Cela fait plusieurs mois déjà que je t'écoute et que j'essaie de
comprendre ce que tu me racontes! répliqua l'homme. Ça suffit!
- Non! Jack! Ne pars pas! Je t'aime! »
Le
prénommé Jack claqua la porte. L’écran devint noir et le générique
déroula l'incommensurable liste des acteurs, metteurs en scène,
etc...Puis, le téléjournal débuta.
«
Bonsoir chers téléspectateurs, lança la chef d’antenne sans émotion.
Voici ce qui a retenu notre attention aujourd'hui : un accident de la
route fait sept blessés dans l'est du pays... un horrible incendie fait
perdre la vie à une famille de trois enfants… l'agresseur de Nathalie
Boisvenu de retour devant le juge… bourses mondiales: encore des
pertes...
- Et à la météo, le soleil sera de retour demain », annonça une autre jeune femme d'un sourire radieux.
Amélie
éteignit l'appareil. Toujours les mêmes nouvelles perturbantes et
déstabilisantes. Toujours quelque chose pour rendre malheureux. Mais
Amélie était comme tout individu moderne; elle savait banaliser ces
informations. Néanmoins, elle rêvait d'un bulletin de nouvelles aux
allures positives, ne parlant ni de guerre ni de pauvreté. Elle rêvait
et rêverait probablement toute sa vie. Peu importe, elle avait bien
d'autres choses à faire que ça. Le téléjournal n'était pas très
important pour elle.
Amélie
était victime d'une petite déprime en ce moment. C'était pour elle une
grande période de remise en questions. Tout ce qui l’entourait ne
semblait pas lui plaire et c'est sans hésiter qu'elle aurait changé
certains éléments de sa vie. Son travail ne lui plaisait guère autant
qu'elle l'aurait souhaité, son patron lui mettant davantage de pression
de jour en jour. Le poste de vendeuse chez Surliers, un magasin de
chaussures, n'était vraiment pas facile et elle s'en rendait compte
après plusieurs mois. Elle ne possédait pas véritablement d'autres
sources de revenu, alors elle ne rechignait pas devant le montant qui
se déposait chaque semaine dans son compte de banque.
Côté
amoureux, ce n'était pas la grande joie non plus. Elle avait même
abandonné temporairement la conquête de l'âme sœur, celui-ci se faisant
admirablement discret. Elle s'était résignée à ne pas forcer l'amour et
elle attendrait que le moment soit venu. Malgré tout, elle s'ennuyait
dans son appartement et seule une présence masculine viendrait
réconcilier l'atmosphère.
Après
avoir souper dans un silence presque parfait - une dispute entre les
deux colocataires de l'appartement du haut avait animé son souper -, la
jeune femme s'installa devant son chevalet et poursuivit son œuvre.
Depuis
toute petite, Amélie avait toujours préféré les activités créatives,
autant la musique que la couture en passant par le bricolage et
l'écriture. Avec les années, elle avait découvert une autre forme
d'art: la peinture. C'est alors que ce passe-temps devint une vraie
passion et elle ne passait pas plus d'une semaine sans ouvrir un tube
ou un pot de substance colorée. C'était en quelque sorte sa façon de
s'exprimer et d'illustrer ses pensées.
«Bon, encore un coup de pinceau ici, un autre là...voilà! C'est parfait! se dit-elle. Maintenant, dodo! »
Elle
sauta dans son lit. Comme il était tard et qu'elle était épuisée, ce ne
fût pas très long qu'elle se mit à rêver...au prince charmant...
Amélie se réveilla tranquillement en repensant à l’homme idéal auquel elle venait tout juste de rêver. Le soleil entrait vivement dans la chambre par la grande fenêtre dont elle avait oublié d’en fermer les rideaux. L’atmosphère dans la chambre était calme, invitant au repos, à la paix et n’était rien de moins que le prolongement de son merveilleux rêve, sans le prince bien sûr. À moitié réveillée, elle tenta de se rendormir pour poursuivre son rêve, mais en vain. Le pays de la rêverie lui était hors de portée.
La jeune femme regarda l’heure et en conclut qu’elle ne pourrait plus rester couchée encore longtemps. De ce fait, elle se leva avant que son réveil ne sonne et que le son de ce dernier brise toute la magie qui l’entourait.
Malgré l’accident qu’elle évita de justesse, malgré sa difficulté à trouver un stationnement et malgré l’énorme pression que lui mit son patron en arrivant au travail, Amélie garda le sourire et resta sur son nuage. Le soleil dehors lui faisait réellement du bien en ce dernier jour de semaine et au contraire de bien des gens, elle abordait cette journée avec une touche positive, ce qu’elle n’avait pas réussi à faire depuis quelques temps.
Quelques minutes à peine après l’ouverture, les clients envahirent le magasin. À l’arrière, un homme n’arrivait pas à déterminer laquelle des deux paires de chaussures qu’il tenait dans les mains étaient la bonne.
«Celle-ci offre un meilleur support, mais elle coûte un prix fou! La couleur de l’autre est belle, mais je ne suis pas convaincu de son efficacité! J’aurais peut-être dû aller voir ailleurs… Oui, je vais aller ailleurs! Il y a sûrement un modèle beaucoup mieux chez ShoeSims! Je suis quand même déçu…d’habitude je trouve toujours quelque chose d’extra ici!»
Quand il se retourna, il tomba face à face avec une vendeuse. Ces yeux la dévisagèrent du tout au tout en insistant un peu plus à certains endroits et lorsque leurs yeux se croisèrent, l’homme sentit quelque chose d’inexplicable en lui. Une sorte d’émotion, de sentiment intense qui ne s’exprime pas très clairement. Il était dans tous ses états, le pauvre. La foudre l’avait-il frappé d’un coup?
« Comment puis-je vous aider? demanda machinalement Amélie quelque peu perturbée par l’allure du jeune homme.
- Euh…c’est que… en fait…, balbutia-t-il, bêtement. »
Amélie eut un léger rire en voyant l’homme qui cherchait ses mots et le principal concerné rougit de honte.
« Voilà…je n’arrive pas à choisir entre ces deux paires de chaussures juste là… Vous seriez tellement formidable si vous pouviez m’aider à choisir le bon modèle…, s’essaya l’homme en se disant qu’il s’agissait d’une bonne façon de faire contact avec la belle vendeuse.
- Oui, très bien. Je vais vous aider. C’est mon travail après tout! » lança Amélie en rougissant au compliment que l’homme avait tenté de lui faire.
L’homme désigna deux paires de souliers et expliqua son problème de prix et de qualité.
« Oui, vous avez tout à fait raison. Si vous voulez quelque chose de bien pour un prix plus abordable, je vous conseille celui-ci. »
Amélie pointa un modèle et le client approuva. La jeune vendeuse aida l’homme à essayer les chaussures. Pendant qu’elle enlevait les bouts de papiers à l’intérieur de celles-ci, l’homme changea de sujet.
« Sans vouloir paraître indiscret, j’aimerais en savoir un peu plus sur vous. Vous semblez tellement aimable…
Ne sachant quoi trop répondre, Amélie répondit :
- Eh bien, vous n’avez qu’à me demander ce que vous voulez savoir et peut-être je vous le dirai. Mettez-les et faites quelques pas avec pour voir si elles vous font, dit-elle de façon plus spontanée en parlant des souliers.
-Oui tout de suite…
Il fit quelques pas et revint.
- Je me sens bien dedans, je vais les prendre!
-D’accord, répondit la vendeuse. Vous n’avez qu’à passer à la caisse! Suivez-moi! »
Une fois à la caisse, elle fit payer son client. Avant que celui-ci ne parte, il ajouta :
« Que faites vous ce soir? Peut-être pourrions-nous aller manger quelque part? tenta l’homme.
- Jusqu’à présent je suis libre, dit-elle en souriant. Que diriez-vous d’aller faire un tour Chez Ambert? Vous connaissez?
-Oui, je m’y rends régulièrement! approuva le jeune homme tout content. Rendez-vous vers 19h Chez Ambert alors?
-Oui! Ça me convient parfaitement! Je vous laisse mon numéro au cas où…
Amélie prit une carte d’affaire qui traînait sur le comptoir et y inscrivit son numéro de cellulaire. Elle le donna à l’homme qui le rangea soigneusement.
-Au fait, comment vous appelez-vous? demanda-t-elle, intriguée par ce mystérieux personnage.
-Je m’appelle Colin. Et vous c’est Amélie.
-Comment savez-vous?! l’interrogea-t-elle, stupéfaite. Je n’ai pas de papier qui indique mon nom sur mon chandail pourtant!
-Eh bien peut-être pas, mais vous venez vous-même d’écrire votre nom sur la petite carte! »
Sur ces paroles, Colin prit la porte, sac à la main. Le patron d’Amélie avait tout vu, tout entendu.
Il s’approcha d’elle et lui glissa :
« Si vous voulez augmenter vos ventes, vous devriez passer moins de temps à draguer les clients et plus à faire votre boulot! Allez! Il y a des gens qui vous attendent là-bas!
-Oui monsieur... » dit-elle péniblement en allant voir si les clients avaient réellement besoin d’elle.